LA SOLITUDE
Avant, si l’on peut dire, le commencement du temps et le début du début, l’être était seul dans le néant. Il n’y avait rien.
Et il y avait pourtant quelque chose dont aucun homme ne peut rien dire parce que les lois qui nous régissent n’existaient pas encore, parce qu’il n’y avait pas d’espace ni de temps, parce qu’il n’y avait ni cause, ni effet, ni nécessité, ni hasard.
Il y avait dans le néant quelque chose d’obscur et de pourtant lumineux qui se mêlait à lui et à quoi, faute de mieux, nous donnons le nom d’être. L’être était tout-puissant et il ne faisait rien. Il était tout-puissant mais il ne faisait rien. Tout ce qui allait advenir jusqu’à la fin des temps était déjà en lui : la soupe primitive, les algues vertes et bleues, les diplodocus, les primates, le feu, l’agriculture, les villes et l’écriture, les conquêtes d’Alexandre et les premiers pas d’Armstrong et d’Aldrin sur la Lune. Mais tout était encore caché et sous forme de possible. Tout n’était qu’en puissance. Dieu était tout-puissant et tout était en puissance.
Les lois de l’univers n’étaient pas promulguées. Le temps n’était pas là pour unir ce qu’il distinguerait. Rien ne se déroulait encore dans la coexistence ni dans la succession.
Tout était concentré dans l’être qui était seul dans le néant et qui se confondait avec lui.